Europe, Chypre, Turquie… L’impossibilité d’une île?, Causeur, 25 mars 2016.

L’avenir de l’UE est tributaire des relations entre les deux pays

La perspective de l’adhésion de la Turquie à l’UE, relancée par la détermination des Européens à sceller, coûte que coûte, un accord sur la crise migratoire, est freinée par l’opposition de Chypre.
Avec la signature de l’accord sur les migrants, l’avenir de l’Europe se trouve, par une ironie de l’Histodoulides, à cette occasion, pour la première fois, la question chypriote entrave véritablement les ambitions européennes de la Turquie.

Entrée dans l’UE en 2004, la République de Chypre n’est toujours pas reconnue par la Turquie comme un Etat souverain. Les Turcs utilisent d’ailleurs l’expression : « Administration chypriote grecque de Chypre du Sud » pour désigner le nouvel Etat membre de l’UE. A ce jour, la Turquie persiste dans son refus d’ouvrir ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions chypriotes, comme elle s’y était pourtant engagée lors de l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005, d’où leur gel partiel à partir de 2006.

Une décennie plus tard, l’état des relations entre Chypre et la Turquie continue d’impacter plus que jamais les chances d’adhésion de la Turquie à l’UE. En effet, concernant la réouverture de cinq chapitres de l’acquis communautaire demandée par Ankara en contrepartie de l’accord sur les migrants, seul le chapitre 33 sur le budget a été retenu.

Le 19 mars, le président du Parlement chypriote, Yiannakis Omirou a souligné que la position de la République de Chypre était claire : la relance des négociations d’adhésion est conditionnée par la reconnaissance de la République de Chypre et par le respect par la Turquie du protocole d’Ankara de juillet 2005, (qui a étendu l’Union douanière aux dix nouveaux Etats membres de l’UE et a garanti la libre circulation).

Dans ce combat de David contre Goliath, le gouvernement turc se montre très courroucé par les réticences chypriotes. Le 16 mars 2016, le ministre turc des Affaires européennes, négociateur-clé dans l’accord migratoire, Volkan Bozkir, évoquant « les caprices de l’administration chypriote grecque de Chypre du Sud », a déclaré qu’il était hors de question que la Turquie reconnaisse Chypre en échange de la seule ouverture de chapitres de l’acquis communautaire.

Pour sa part, le président du Conseil européen, Donald Tusk, après une visite, dans la même journée du 15 mars 2016, à Nicosie puis à Ankara, a déclaré qu’au sein de l’Union des 28, la place de Chypre était aussi importante que celle de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas ou de tout autre Etat membre.

Alors qu’il est prévu qu’un nouveau plan de règlement de la question chypriote, sous l’égide des Nations unies, fasse l’objet d’un référendum, dès l’été 2016, avec le soutien de l’ensemble de la communauté internationale et des deux dirigeants chypriotes, Nicos Anastasiades, président de la République de Chypre, et Mustafa Akinci, élu, en avril 2015, président de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), la crise migratoire en Europe, pourrait contribuer à accélérer les perspectives de réunification du pays.

Ainsi, il apparaît de plus en plus nécessaire pour la Turquie, si elle veut continuer à se rapprocher de l’UE, d’en reconnaître tous les Etats membres et de normaliser ses relations avec eux. Dans le cas contraire, Chypre, bien qu’étant le troisième plus petit Etat de l’UE après Malte et le Luxembourg, serait une nouvelle fois en mesure de renvoyer aux calendes grecques le rêve européen du président turc Erdogan.

Les entraves chypriotes à la réouverture de nouveaux chapitres de l’acquis communautaire sont en effet autant d’obstacles à la dynamique dans laquelle l’UE et la Turquie se sont engagées, dynamique vitale pour Erdogan, tant au plan de l’aide financière européenne pour son pays, qu’au plan de la consolidation de son parti au pouvoir à Ankara, le Parti de la justice et du développement (AKP). Dans une volonté de grtous azimuts vers l’ensemble du Moyen-Orient, l’Europe, l’Asie centrale, le Caucase et même vers l’Afrique, le président turc s’est promis de mettre en œuvre ce qu’il appelle sa « Vision 2023 », en référence à l’année de la commémoration du centenaire de la République, fondée par Atatürk.

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