« La Turquie dans la Corne de l’Afrique », Revue Conflits, Novembre 2020, pp.58-60.

L’année 1538 a marqué le début des grtomans vers l’océan Indien.

Le souvenir de cette épopée glorieuse ressurgit depuis une dizaine d’années en Turquie sous l’impulsion de Recep Tayyip Erdogan et en particulier de son ancien ministre des affaires étrangères de 2009 à 2014, Ahmet Davutoutes les occasions d’étendre son influence par le biais d’une aide à la fois humanitaire, économique et sécuritaire.

Djibouti, petit pays de près d’un million d’habitants, situé à sept heures de vol d’avion de chasse de la France accueille, depuis son indépendance en 1977, une base militaire permanente française (1450 personnels). Depuis le début du nouveau millénaire, d’autres puissances étrangères se sont implantées dans le pays, comme en a témoigné l’installation – entre autres – de la seule base américaine sur le continent africain en 2003 (3200 personnels) et de la première base chinoise à l’étranger en 2017. En 2016, Djibouti et l’Arabie saoudite ont conclu un accord pour la construction d’une base saoudienne pour un loyer de 125 millions de dollars[1].

Dans ce contexte d’intense compétition, la Turquie envisage également d’installer sa propre base militaire dans ce pays qui, pendant 400 ans, demeura sous domination ottockage de 14 millions de mètres cube d’eau, il doit permettre de soulager la situation de stress hydrique que connait le pays. En 2015, l’Etat djiboutien a également alloué 500 hectares à la Turquie pour créer une zone économique spéciale.

Par l’entremise de la Fondation Diyanet, elle y a construit la plus grtoman avant l’arrivée des Français dans le pays dans les années 1880.

En Somalie, pays doté du plus long litandos somaliens formés par des instructeurs d’élite de l’armée turque prêtent serment en turc[4].

Le gouvernement turc a indiqué que le principal objectif de cette mission était le renforcement des capacités militaires des forces armées somaliennes face à la menace représentée par al-Shabab, un groupe terroriste islamiste somalien d’idéologie salafiste djihadiste créé en 2006. La Turquie soutient les efforts de paix menés par la Somalie vis-à-vis de la République autonome au sein de la Somalie.

Dès 2011, la Turquie s’est positionnée pour apporter une aide considérable à la Somalie, qui se trouvait alors cruellement frappée une nouvelle fois par la sécheresse et la famine. Cette initiative a remporté un fort soutien populaire en Turquie et s’est doublée d’une grande envergure dans divers domaines[6].

Le Croissant rouge turc et la Fondation Diyanet ont fourni une aide humanitaire sur le long terme. Des sociétés turques telles que Albayrak et Favori ont obtenu respectivement la gestion du port et de l’aéroport de Mogadiscio. De nombreux étudiants somaliens sont partis étudier en Turquie grâce à un programme de bourses. Le gouvernement turc a soutenu la création de services sociaux, d’écoles et d’hôpitaux, dont le nouvel hôpital Recep Tayyip Erdogan dans la capitale. La Turquie aurait versé un milliard de dollars d’aide au pays entre 2011 et 2017, tandis que les échanges commerciaux bilatéraux dépassaient les 180 millions de dollars en 2018.

En janvier 2020, le président turc a déclaré que la Somalie avait invité la Turquie à conduire une prospection pétrolière au large de ses côtes, qui s’étendent le long de l’océan Indien et du golfe d’Aden. Cette offre ne sera pas sans conséquences car les gisements sont situés dans une zone maritime de 10 000 kilomètres carrés, contestée par les Etats voisins tels que le Kenya. Ce contentieux est actuellement examiné par la Cour internationale de justice.

Au Soudan, forte du soutien de l’ancien président Béchir qui était proche de la Confrérie des Frères musulmans, la Turquie envisageait de construire une nouvelle base militaire, sur la mer Rouge, sur l’île de Suakin louée au gouvernement soudanais pour 99 ans[7]. Cette île de 20 kilomètres carrés s’est trouvée sous contrôle turc à partir du 16ème siècle. Une base navale permettait alors de protéger la province ottomane de Hijaz. L’île était un lieu de transit pour les musulmans africains voyageant vers la Mecque. L’Égypte, les EAU et l’Arabie saoudite se sont opposés au projet de base militaire, qui a finalement été ajourné lors de la chute du président soudanais Omar el-Béchir en avril 2019, après 30 ans au pouvoir. Le Qatar qui, pour sa part, avait signé, en mars 2018, un accord de 4 milliards de dollars pour la réhabilitation du port de Suakin[8], avec le gouvernement soudanais, se retrouve également dans une position délicate.

L’Ethiopie, dont la population, à la différence de ses voisins dans la région, est majoritairement chrétienne, n’en demeure pas moins le premier partenaire commercial de la puissance turque dans la région avec un marché de 110 millions de consommateurs.

En revanche, en Erythrée, l’engagement turc demeure modeste (notamment au plan économique), même si la Turquie tente d’apporter sa médiation au processus de réconciliation avec l’Ethiopie et qu’elle elle a soutenu la levée des sanctions onusiennes en novembre 2018. Selon Zach Vertin de la Brookings Institution, le président Isaias Afwerki, a choisi le camp des Saoudiens et des Emiriens depuis que ceux-ci versent, depuis 2015, un loyer conséquent pour disposer d’une base militaire[9].  Ces derniers ont oeuvré pour la levée des sanctions internationales contre ce pays longtemps ostracisé en raison de la répression sanglante exercée par le pouvoir sur les opposants et sur une partie de la population, ce qui provoque un flux migratoire considérable notamment vers l’Europe.

Dans le domaine naval, l’Arabie saoudite coordonne avec l’Egypte ses efforts pour s’implanter en Erythrée, stratégiquement placée au sud de la mer Rouge. Le gouvernement égyptien envisagerait d’installer une base navale sur l’île érythréenne de Nora. Ce rapprochement crée des tensions avec l’Ethiopie et le Soudan car Le Caire et Addis-Abeba sont enfermés dans un grave différend concernant le Grand barrage hydroélectrique du continent africain.

Construit dès 2011 sur le principal affluent du Nil, ce projet de 4,9 milliards de dollars, auquel la Turquie apporte son soutien, est perçu comme une menace par l’Égypte, en ce qui concerne son propre approvisionnement en eau. Le positionnement de la Turquie dans la Corne de l’Afrique lui permet donc de poursuivre son ambition de redevenir une puissance incontournable à la fois dans la région et au sein du monde musulman. Elle bénéficie pour cela du soutien du Qatar, avec lequel elle partage de nombreux objectifs communs en matière de politique étrangère et de coopération militaire[10].

Les deux pays soutiennent la confrérie des Frères musulmans. Cependant, cette alliance a un prix : andis que la Somalie a soutenu le Qatar et que l’Éthiopie est restée neutre. Ces tensions permanentes comportent indubitablement un risque de déstabilisation pour l’ensemble de la région.

En conclusion, force est de constater que les ambitions turques dans cette région témoignent de la pérennité du concept de « profondeur stratégique » (stratejik derinlik), énoncé par l’ancien ministre des affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu, et qui appelle la Turquie à mettre en place un nouvel ordre économique et social, non seulement dans le bassin méditerranéen et au Moyen-Orient, mais également dans l’ensemble du monde musulman. Cependant, l’implication de la Turquie, alliée au Qatar, et de puissances rivales dans la Corne de l’Afrique, a contribué à projeter de nouvelles tensions dans une zone déjà déstabilisée par ses propres divisions internes.

Notes de bas de bas de page:

[1] Jean-Luc Martineau, « Djibouti et le « commerce » des bases militaires : un jeu dangereux ? », L’Espace Politique [En ligne], 34 | 2018-1.

[2] Ana Pouvreau : “Les forces armées turques face aux nouveaux défis stratégiques », Revue Défense Nationale, 2020/4 (N° 829), pp.83-88.

[3] Selcan Hacaoglu : « Mapping the Turkish Military’s Expanding Footprint”, Bloomberg, 7 mars 2019 réactualisé le 2 janvier 2020.

[4] Can Kasapoglu : “Turkey’s Growing Military Expeditionary Posture”, Terrorism Monitor Volume: 18 Issue: 10, 15 mai 2020.

[5] Martina Schwikowski: Qatar-Gulf crisis spreads to Africa”, DW, 29 août 2017.

[6] Willem van den Berg et Jos Meester : « Turkey in the horn of Africa – Between the Ankara Consensus and the Gulf Crisis »,  CRU Policy Brief, Institut Clingendael, mai 2019.

[7] Mohammed Amin : « Suakin: ‘Forgotten’ Sudanese island becomes focus for Red Sea rivalries », Middle East Eye,  19 mars 2018.

[8] Behram Abdelmunim: « Khartoum et Doha signent un accord de réhabilitation du port de Suakin », Agence Anadolu, 26 mars 2018.

[9] Zach Vertin : Turkey toman designs or unfounded fears?”, Brookings Institution,19 mai 2019.

[10] Ana Pouvreau : « Turquie et Qatar : une alliance durable ? », Institut FMES, 21 juillet 2020.

 

 

 

 

 

 

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