Jirinovski, le Russe qui fait trembler le monde (recension parue sur le site de la Revue Défense Nationale, novembre 2015),

Didier Daeninckx et Pierre Drachline : Jirinovski, le Russe qui fait trembler le monde  ; Le Cherche Midi Editeur, 1994 ; 149 pages.

Dans le contexte géostratégique actuel marqué par l’intervention russe en Syrie (30 septembre 2015), par l’annexion de la Crimée par la Russie (18 mars 2014), par l’apparition de républiques pro-russes autoproclamées en Ukraine (avril 2014), et par le renforcement récent de la présence militaire et sécuritaire russe en Afghanistan, la relecture de l’ouvrage Jirinovski, le Russe qui fait trembler le monde, est particulièrement intéressante.

Cet ouvrage, toujours disponible en librairie vingt-et-un ans après sa parution (1994), a le mérite de présenter avec clarté au public français la doctrine géopolitique du leader ultranationaliste russe, Vladimir Jirinovski. Cette doctrine allait influencer de manière inattendue, de nombreuses personnalités politiques et militaires dans la Russie post-soviétique, au cours des décennies suivant sa publication. Son analyse par ces deux auteurs français permet de comprendre, entre autres, comment a pu se forger la vision actuelle des décideurs politiques russes en ce qui concerne les intérêts nationaux de la Russie et la place de leur pays dans les relations internationales.

Très préoccupé par les évolutions du monde musulman, Jirinovski est partisan d’un partage longitudinal du monde entre les grandes puissances de l’hémisphère Nord et propose d’instaurer « la paix russe » aux confins méridionaux de la Russie (mondes arabe, perse, turc jusqu’en Afghanistan) et peut-être au-delà. La pacification du Sud est à la fois son obsession : « c’est un médicament nécessaire pour la Russie » et son rêve : « Je rêve de voir des soldats russes laver leurs bottes dans l’eau chaude de l’océan Indien et troquer pour toujours leurs vêtements contre des vêtements d’été ».

Né en 1946 au Kazakhstan, personnage en apparence primaire, brutal et truculent, connu pour ses provocations verbales soulevant régulièrement l’indignation des Occidentaux, Jirinovski est en réalité un éminent spécialiste de la Turquie, de l’Iran, du Caucase et du monde arabe, parlant cinq langues. Colonel, diplômé de l’Institut des langues orientales de Moscou, juriste et docteur en philosophie de la prestigieuse Université d’État de Moscou, son appartenance au KGB est dévoilée en 1994 par Anatoli Sobtchak, maire de Saint-Pétersbourg décédé en 2000. Jirinovski est député à la Douma depuis 1991 ; il sera plusieurs fois candidat à l’élection présidentielle et deviendra membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

La doctrine géopolitique de Jirinovski fut tout d’abord présentée, en 1993, dans un ouvrage intitulé Le dernier saut vers le Sud (Poslednyi Brosok Na Jug) et publié par les éditions de son parti, le Parti libéral démocrate de Russie (LDPR), fondé dès 1990. Didier Daeninckx et Pierre Drachline en retracent les grandes lignes et relèvent les citations les plus marquantes de ce livre-programme, n’existant, de manière regrettable, pour les géopoliticiens français, qu’en langue russe.

Réédité en 2007, l’ouvrage de Jirinovski est comparable – en termes d’influence et de portée – à l’ouvrage de Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, Le Grand échiquier, paru aux États-Unis en 1997, qui préconisait, dans ses grandes lignes, le maintien de l’hégémonie américaine dans le monde. ♦

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