L’unité irlandaise : rêve ou réalité après le Brexit ?, ENDERI (Entreprise, Défense, Relations internationales), 28 juillet 2020.

[https://www.enderi.fr/L-unite-irlandaise-reve-ou-realite-apres-le-Brexit_a666.html]

A l’approche du centenaire de la partition de l’Irlande (3 mai 2021) et dans la foulée de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le 31 janvier 2020, l’idée d’une réunification des deux Irlande a retrouvé de la vigueur et ce, malgré la crise sanitaire liée au coronavirus.

La victoute attente le Sinn Féin. Michael Martin du Fianna Fail a été élu nouveau Premier ministre (Taoiseach) en remplacement du conservateur Léo Varadkar (Fine Gael).
Mary Lou McDonald, leader du Sinn Féin, a rejeté l’accord de coalition comme un « mariage de complaisance » et accusé Fianna Fáil et Fine Gael d’avoir conspiré pour exclure son parti du gouvernement. Elle se retrouve aujourd’hui à la tête du plus grand parti d’opposition.

Dans ce contexte de grande incertitude, le Sinn Féin ne laisse planer aucun doute sur sa détermination à lancer, dans les cinq ans à venir, un référendum sur le projet d’unité irlandaise – « United Ireland » – au nom duquel combattirent les républicains irlandais pendant des décennies. L’Irlande du Nord – soit 6 comtés de la province irlandaise d’Ulster – demeure pour l’heure l’une des quatre nations constitutives du Royaume-Uni (United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland).

Le projet d’unité semble faire son chemin dans les esprits au sud comme au nord, comme en témoigne le sondage commandé par le quotidien britannique The Times en date du 3 février 2020 indiquant que 4 électeurs irlandais sur 5 sont en faveur de la réunification [1]. En Irlande du nord, un sondage de la BBC de septembre 2016, indiquait que 22% des nord-irlandais se déclaraient en faveur d’une Irlande Unie. En septembre 2019, selon l’institut de sondage du conservateur pro-Brexit Lord Ashcroft, ce chiffre est passé à 51% [2] .

Au plan politique, on peut constater une amélioration sensible concomitante au Brexit. En effet, alors que les Nord-Irlandais étaient depuis 2017 privés de gouvernement local, en raison de dissensions persistantes entre Unionistes du Parti unioniste démocrate (DUP) et Républicains du Sinn Féin, l’assemblée nord-irlandaise (unicamérale) siège à nouveau depuis le 11 janvier 2020. Afin de soutenir cet accord de coalition, le gouvernement britannique a promis une aide de plusieurs centaines de millions de livres. Celle-ci permettra de maintenir à flot les services publics et l’aide sociale. Dans cette région post-industrielle, l’industrie aéronautique et les chantiers navals ont peu à peu périclité. Le taux de chômage des jeunes varie entre 20 et 25%. Dans ces conditions, le projet de réunification permettrait à la fois de soulager le Royaume-Uni d’un fardeau financier et de concrétiser un idéal cher à de nombreux Irlandais. Encore faudrait-il que les éléments les plus sectaires au sein des communautés se rendent à l’évidence et choisissent de sortir définitivement de leur ornière idéologique.

En République d’Irlande, les députés du Sinn Féin appellent depuis 2016 les dirigeants européens et l’UE à soutenir l’idée de l’unité irlandaise. D’autres formations politiques y seraient également favorables, comme l’a exprimé le sénateur Mark Daly issu de la formation de centre-droit Fianna Fail, dans un rapport intitulé « Le Brexit et l’avenir de l’Irlande » [3] publié en août 2017. En se basant sur le précédent de la réunification entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est (3 octobre 1990), ce parlementaire a réclamé un statut spécial pour l’Irlande du Nord et le soutien de l’UE par le biais d’une déclaration de la Commission européenne en faveur de l’unité de l’Irlande. Ceci nécessiterait la tenue d’un référendum sur la réunification comme l’a d’ailleurs prévu l’Accord de paix dit du Vendredi Saint (Good Friday Agreement) du 10 avril 1998, qui a mis fin à trois décennies d’affrontements sectaires entre protestants et catholiques nord-irlandais (quelque 3500 morts entre 1969 et 1998). Cependant, l’ancien Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, craignant de raviver les tensions intercommunautaires en Irlande du Nord, avait jugé à l’époque qu’un tel référendum n’était pas souhaitable.

La sortie du Royaume-Uni de l’UE dans la nuit du 31 janvier au 1er février 2020 revêt une importance existentielle pour la République d’Irlande, membre de l’UE depuis 1973. L’Accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, signé le 24 janvier 2020 par le Premier ministre britannique Boris Johnson et par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prévoit la mise en place d’une « frontière maritime » en mer d’Irlande entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Cette solution permet de ne pas rétablir de frontière physique – une frontière terrestre de 500 km – entre le Nord et le Sud de l’Irlande, et ce afin de respecter l’Accord de paix de 1998.La circulation des marchandises entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni pourrait devenir un casse-tête en matière de réglementation, de contrôles sanitaires et de droits de douane. Il n’y aura bien sûr pas de barrière physique en mer d’Irlande, mais les marchandises à destination de l’Irlande du Nord en provenance du reste du royaume (Angleterre, Écosse et Pays de Galles) seront à l’avenir soumises à des contrôles britanniques afin de s’assurer que celles-ci sont bien conformes aux normes de l’UE notamment en ce qui concerne certaines denrées alimentaires telles que le poulet lavé au chlore [4] ou le bœuf aux hormones élevés aux Etats-Unis. En théorie, les contrôles ne sont censés concerner que des biens susceptibles de se retrouver en République d’Irlande ou ailleurs dans l’UE. Mais s’il n’y a pas de barrière douanière entre le Nord et le Sud en terre irlandaise, cela va concerner pratiquement toutes les marchandises !

Le sort réservé aux marchandises d’Irlande du Nord exportées vers le reste du Royaume-Uni est encore moins clair. Il y aura sans doute encore plus de formulaires à remplir, mais pas de contrôles physiques. Les biens fabriqués en Irlande du Nord qui seront envoyés vers l’UE via la République d’Irlande (en majorité sur des ferries vers la France à partir de Dublin, Cork et Rosslare) seront vraisemblablement traités comme s’ils provenaient du marché unique. Il reviendra aux autoyens de l’UE.

Depuis 1989, les Nord-Irlandais ont bénéficié d’une aide financière considérable de la part de l’UE, notamment dans le cadre du programme européen PEACE de soutien à la paix entre les communautés. Ils dépendent aussi très largement des fonds de la Politique Agricole Commune (PAC). En 2020, l’UE avait prévu d’accorder près de 2,5 milliards d’euros aux fermiers nord-irlandais. Inquiets de perdre ce soutien économique de poids, le 23 juin 2016, lors du referendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne (UE), les électeurs d’Irlande du Nord se sont prononcés à 56% en faveur du maintien dans l’UE. Le Brexit impactera également la situation des quelque 40 000 ressortissants de Pologne et des Etats baltes (sur une population totale de 1,9 millions d’habitants), qui vivent actuellement en Irlande du Nord dans le cadre de la libre circulation des personnes au sein de l’UE.

Pour Walter Ellis, pour la plupart des Anglais, le fait de se débarrasser de l’Irlande du Nord serait sans doute une bonne chose, car cela ferait économiser au Royaume-Uni jusqu’à 12,5 milliards d’euros par an, mais le coût pour la République d’Irlande serait prohibitif. En effet, si l’Irlande est l’un des pays les plus prospères de l’UE, l’intégration soudaine de 1,9 million d’habitants nord-irlandais (dont quelques milliers d’Unionistes extrémistes) ferait peser une pression considérable sur le Sud, qui compte tout juste 4,92 millions d’habitants. C’est pourquoi dans un tel contexte, l’aide généreuse de Londres, Bruxelles et des États-Unis serait forcément indispensable pour faciliter le processus de réunification. Les subventions du Royaume-Uni devraient augmenter considérablement dans les mois à venir pour protéger et relancer l’économie nord-irlandaise.

En Irlande du Nord, le DUP et le Sinn Féin se sont réveillés tardivement face aux dangers de Covid-19, avant de se ressaisir. Les taux de mortalité et d’infection au nord et au sud se sont finalement avérés bien meilleurs qu’en Angleterre. Depuis lors, le fait que, fin juin 2020, le Sinn Féin ait organisé un enterrement grandiose pour le leader de l’IRA, Bobby Storey, en présence de Michelle O’Neill – la chef du Sinn Féin d’Irlande du Nord et actuelle vice-Première ministre du gouvernement de Belfast – au mépris des mesures de distanciation sociale, a ravivé les tensions avec les unionistes du DUP. Depuis le début de l’été, on observe que de nombreux orangistes et groupes sectaires ont pris part aux célébrations officieuses de la bataille de la Boyne en 1690, en ignorant les restrictions sanitaires. C’est pourquoi désormais, comme l’affirme Walter Ellis, en raison de la pandémie de Covid-19, « rien ne progressera rapidement sur la question de l’unité irlandaise tant que des problèmes de vie ou de mort resteront à résoudre ».

[1] https://www.thetimes.co.uk/article/election-2020-we-want-united-ireland-say-four-in-five-voters-bcsbnkjld

[2] https://www.belfasttelegraph.co.uk/news/northern-ireland/article38488280.ece
[3]

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