Les relations Royaume-Uni – Russie après l’empoisonnement de Sergueï Skripal – Revue Défense Nationale, Tribune N°984, 19 mars 2018.

L’empoisonnement par un agent neurotoxique de Sergueï Skripal, 66 ans, ex-colonel du service de renseignement militaire russe (GRU)[1] et de sa fille Youlia, 33 ans, le 4 mars 2018, dans la petite ville anglaise de Salisbury (Wiltshire), a déclenché en quelques jours une grave crise entre le Royaume-Uni et la Russie.

En réponse à cette attaque, la Première ministre britannique Theresa May, considérant la Russie « coupable » dans cette affaire et qualifiant de « tragique » la réaction du président Poutine, a annoncé, le 14 mars 2018, l’expulsion de 23 diplomates russes, identifiés comme des officiers renseignement cltoire britannique, la suspension des rencontres diplomatiques et le boycott par le gouvernement britannique de la Coupe du Monde de football en Russie en juin 2018. Le gouvernement va élaborer une nouvelle législation visant à protéger le pays contre les activités hostiles menées par des Etats étrangers et envisager de nouvelles mesures dans le domaine du contre-espionnage. Par ailleurs, des amendements similaires aux dispositions anti-corruption du Magnitsky Act, déjà en vigueur aux Etats-Unis[2] seront ajoutés au projet de loi, Theresa May considérant qu’ « il n’y pas de place pour les élites corrompues » au Royaume-Uni. Les ressortissants russes seront désormais soumis à des contrôles plus stricts avant leur entrée dans le pays[3]. Une mise en garde a été énoncée concernant les déplacements de ressortissants britanniques en Russie.

Le ministre de la défense, Gavin Williamson a également annoncé le 15 mars, un investissement de 48 millions £ (54 millions €) pour la création d’un nouveau centre de recherche sur les armes chimiques[4] ainsi que la vaccination contre l’anthrax pour les militaires[5].

Dès le 6 mars 2018, le gouvernement britannique a exprimé ses suspicions quant à l’implication de la Russie dans cette affaire, le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, qualifiant le régime russe, de «force malfaisante et perturbatrice». La Russie, sommée de répondre avant le 13 mars 2018 à minuit, a réfuté catégoriquement ces accusations, qualifiées de propagande également un débat aux Nations unies.  Enfin, l’expertise de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) est sollicitée par le gouvernement britannique. A ce jour, les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, en particulier, ont apporté leur soutien au Royaume-Uni dans cette affaire[7].

Dans ce contexte tendu, encore aggravé par les élections présidentielles russes du 18 mars 2018 ; par les changements à la tête de la diplomatie et des services de renseignements américains (13 mars 2018[8]) et également par les négociations difficiles sur le Brexit, l’analyse de l’impact de cette crise sur les relations stratégiques entre le Royaume-Uni et la Russie mérite d’être menée.

« Un acte de guerre » de la part de la Russie sur le territoire britannique ?

Sans réponse crédible de la part de la Russie avant l’ultimatum fixé au 13 mars, Theresa May avait annoncé, le 12 mars, lors d’une déclaration devant la Chambre des Communes, que l’attaque à Salisbury serait considérée comme « un usage illégal de la force sur le territoire britannique »[9].

Pour mémoire, en ce qui concerne le déroulement de la crise, le 4 mars 2018, dans un jardin public de Salisbury, Sergueï Skripal et sa fille sont retrouvés gisant toire américain, où ils travaillaient pour le compte de la Russie. Lors de sa libération, Skripal purgeait, depuis 2006, une peine de 13 ans de travaux forcés dans un camp de prisonniers en Mordovie. Il avait été condamné pour avoir, sur une période de dix ans, dévoilé au service britannique de renseignements extérieurs MI-6 (sous le nom de code « Forthwith »), les identités d’agents russes opérant en Europe occidentale. Il aurait reconnu avoir perçu 100 000 dollars en contrepartie. Installé en Angleterre, Sergueï Skripal continuait de collaborer avec le MI-6.

Le 7 mars 2018, la police britannique annonça que Skripal et sa fille avaient été victimes d’une « tentative de meurtre par l’administration d’un agent innervant ». On a appris le 12 mars qu’il s’agissait d’un agent neurotoxique de qualité militaire développé par la Russie et appartenant à la famille d’agents innervants Novitchok développée par l’Union soviétique dans les années 1970 et 1980.

Sur le terrain, 21 personnes – dont l’officier de police Nick Bayley – ont subi des séquelles de cette attaque. 500 personnes ayant fréquenté les lieux visités par les victimes sont également concernées. Des cordons sanitaires ont été mis en place. Dans ce comté du Sud-Ouest de l’Angleterre, qui abrite de nombreux terrains militaires[11], le laboratombes de l’épouse de Sergueï Skripal, morte en 2012 d’un cancer, et celle de son fils disparu dans des conditions suspectes en 2017, ont été scellées.

Cette crise a donné lieu à des réunions du Conseil de sécurité nationale (NSC) britannique et en ce qui concerne l’organisation des secours, une réunion COBRA[12] s’est tenue afin d’activer un dispositif de coordination prévu en cas de catastrophe ou d’attaque. La réactivité et la vigueur des réactions des autoun. L’attaque, qui s’était déroulée à l’hôtel Millenium de Londres, avait entraîné la contamination radioactive de plusieurs lieux de la capitale et exposé ainsi le public à de graves risques d’irradiation[14].

Une rupture inéluctable des relations russo-britanniques

Le ministre de la défense Gavin Williamson a plaidé pour une réponse ferme dès le déclenchement de la crise.  Pour Tom Tugendhat, ancien militaire spécialiste du monde arabe et actuellement président conservateur de la commission des affaires étrangères au Parlement, on observe un comportement récurrent et une guerre larvée de la part de la Russie vis-à-vis de l’Occident[15]. D’une manière générale, la position de fermeté affichée par Theresa May a emporté l’adhésion de la majorité des parlementaires, à l’exception de celle du chef de l’opposition, Jeremy Corbyn (Parti travailliste), plutôt en faveur d’un maintien du dialogue avec Moscou.

Du côté russe, face aux allégations britanniques, le gouvernement russe, par la voix du ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov a déploré « la malhonnêteté des hommes politiques britanniques qui, dans cette affaire, soufflent sur les braises et entretiennent l’hystérie »[16] et qualifié l’intervention de Theresa May devant la Chambre des Communes de « numéro de cirque ». Le président Poutine a recommtorités britanniques d’être elles-mêmes les instigatrices de l’empoisonnement de l’ex-colonel du GRU.

Cependant, lors de l’échange d’agents dont fit partie Skripal en 2010  le président Poutine avait promis la mort des traîtres[17]. Interrogée sur l’empoisonnement de Skripal, Anna Chapman, agent dormant, ayant été déportée vers la Russie dans le cadre cet échange, a déclaré récemment que celui-ci était un traître[18]. En outre, en 2016, au terme d’une longue enquête sur l’implication supposée de l’Etat russe dans l’assassinat d’Alexande, mais Lougovoï a été décoré par le président Poutine pour services rendus à la patrie. Il est actuellement député à la Douma. On note également, au fil des dernières années, 14 cas de morts suspectes sur le sol britannique, dans lesquelles les soupçons pèsent sur le régime russe, dont celle, dans des circonstances inexpliquées, le 13 mars 2018, de Nicolaï Glouchkov, ami de l’oligarque Boris Berezovski, qui avait été retrouvé pendu en 2013[19].

Dans ces conditions, Lord Mc Donald, qui assurait les fonctions de directeur des poursuites pénales (2003-2008) à l’époque de l’assassinat de Litvinenko, déclara que « l’Etat russe est parfaitement capable d’ordonner l’exécution, dans les rues britanniques, par les moyens les plus ignobles, de citoyens britanniques se trouvant sous la protection de l’Etat britannique »[20].

A la suite de l’affaire Litvinenko, le Royaume-Uni avait expulsé des diplomates russes. Les relations diplomatiques et le partage du renseignement entre les deux pays étaient alors toire britannique. L’adoption de sanctions financières drastiques telles que le gel d’avoirs appartenant à des ressortissants russes accusés de violations de droits de l’homme ou de mesures à l’encontre d’établissements bancaires russes, auront peut-être plus d’efficacité[21].

La veuve d’Alextoutefois été immédiatement écartée par le Chancelier de l’Echiquier, Philip Hammond.

Des voix radicales se sont également élevées parmi les parlementaires pour que, dans ce contexte troublé, soient saisis les avoirs et les propriétés de certains oligarques russes soutenant le président Poutine, tels que Roman Abramovitch (notamment propriétaire du Chelsea FC, club de 1er League), Alicher Ouzmanov et Igor Chouvalov.

Enfin, plusieurs parlementaires ont demande au profit de Vladimir Poutine.

En conclusion, les relations entre le Royaume-Uni et la Russie, qui étaient déjà au plus bas dès 2006 avec l’assassinat d’Alexandre Litvinenko et qui n’ont cessé de se détériorer depuis 2014, notamment avec l’annexion de la Crimée, l’implication de la Russie en Ukraine et l’intervention russe en Syrie à compter de 2015, sont actuellement en voie d’effondrement. Il faut espérer que le soutien des Alliés et de la communauté internationale permettra d’éviter une escalade, notamment à la suite de la réélection de Vladimir Poutine le 18 mars 2018.

Notes:

[1] Direction générale des renseignements (Glavnoje Razvedyvatel’noje Upravlenije, GRU) de l’État-Major des Forces Armées de la Fédération de Russie.

[2] Loi bipartite votée aux USA à la suite du meurtre brutal de l’avocat anti-corruption Sergueï Magnitski dans une prison de Moscou en 2009. Celle-ci prévoit des sanctions financières et des interdictions de visas à l’encontre des personnes impliquées dans ce meurtre.

[3] Andrew SPARROW : “UK expels 23 Russian diplomats over spy poisoning – Politics live”, The Guardian, 14 mars 2018.

[4] « Ex-espion empoisonné: Londres va investir 54 millions d’euros dans la défense contre les armes chimiques », RTBF, 15 mars 2018.

[5] . « Defence Secretary Gavin Williamson reveals British troops will be vaccinated against anthrax », ITV News, 15 mars 2018.

[6] “We will call on our Allies to condemn spy attack”, The Guardian, 15 mars 2018.

[7] Peter WALKER; Andrew ROTH: [8]Trump ousts Tillerson, will replace him as secretary of state with CIA chief Pompeo”, The Washington Post, 13 mars 2018.

[9] “Russian spy poisoning: Theresa May issues ultimatum to Moscow”, The Guardian, 13 mars 2018.

[10] Tom PARFITT; Matthew WEAVER; Richard NORTON-TAYLOR:  “Spy swap: US andre Zaporojski, Igor Soutiaguine et Guennadi Vassilenko.

[11] Sally HUNTER: Rapport du Wiltshire Council (2009): “Military Presence and Economic Significance in the Sout West Region”. http://www.wiltshire.gov.uk/mci-military-in-the-south-west.pdf

[12] COBR-A: Cabinet Office Briefing Room A. cf.

[13] FSB : Federal’naja sluzba bezopasnosti Rossijskoj Federatsij.

[14] Comme le décrit l’ancien correspondant à Moscou du quotidien The Guardian, Luke Harding dans son ouvrage: A Very Expensive Poison: the Definitive Story of the Murder of Litvinenko, Guardian Faber, Londres, 2016.

[15] Florentin COLLOMP : « Londres-Moscou : la relation s’envenime », Le Figaro, 8 mars 2018.

[16] Kathrin HILLE; David BOND: “Russia denies role in nerve agent attack on former spy Skripal “, The Financial Times, 9 mars 2018.

[17] Alextors will kick the bucket’, Business Insider, 7 mars 2018.

[18] Meena ALEXANDER: Sergei Skripal is a traitor, says Russian spy Anna Chapman”, The Times, 10 mars 2018.

[19] “From Russia With Blood”, BuzzFeed News, Investigation Report, 15 juin 2017. https://www.buzzfeed.com/heidiblake/from-russia-with-blood-14-suspected-hits-on-british-soil

[20] Newsnight, BBC, 6 mars 2018.

[21] “Relations between UK to crisis”, Financial Times, 12 mars 2018.

[22] Haroon SIDIQUE: “Litvinenko widow warns Tories over Russian donations”, The Guardian, 11 mars 2018.

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